L’avertissement de la Cour de cassation à l’Assurance maladie : « Ne vous adressez qu’au directeur d’établissement ! »

20 Nov 2019

Article paru dans www.finances-hospitalieres.fr

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la Cour de cassation a été conduite à rappeler à une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) que le directeur d’hôpital est le seul représentant légal de l’établissement, ce que nous n’avions cessé de soutenir en première instance comme en appel. La Cour de cassation nous a entendu en rendant l’arrêt n°18-17726 du 10 octobre 2019.

Dans la procédure de recouvrement de l’indu auprès d’un établissement public de santé, responsable du non-respect des règles de tarification ou de facturation, la notification de payer l’indu et de la mise en demeure, prévue par l’article L.133-4 du code de la sécurité sociale, ne peut être régulièrement adressée à une personne autre que le directeur de l’établissement, lequel, selon l’article L. 6143-7 du code de la santé publique, représente l’établissement dans tous les actes de la vie civile et est ordonnateur des dépenses et des recettes de l’établissement.

Retour sur les faits et la procédure

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 6 août 2010, le directeur général de l’ARS d’Ile de France notifiait au Centre hospitalier Delafontaine l’organisation et le déroulement d’un contrôle externe de la tarification à l’activité sur pièces et sur place, sur les données PMSI de l’année 2009. Les critères de sélection des activités retenues ont été les suivants : séjours 0 jour, test DATIM 79 et test DATIM 61.

Ce contrôle portant sur 261 séjours a été réalisé du 25 octobre 2010 au 17 novembre 2010, à l’issue duquel les praticiens-conseils ont cru devoir relever des manquements aux règles de facturation et de codage, dans 193 dossiers médicaux. Un rapport lui a été transmis le 19 novembre 2010.

Par lettre du 8 décembre 2010, la directrice du centre hospitalier a fait parvenir au service du contrôle médical des observations circonstanciées du médecin DIM et des cliniciens visés par les activités contrôlées. L’UCR a eu le dernier mot en retournant un rapport (dit de synthèse) à l’établissement, par courrier du 20 janvier 2011.

C’est dans ces conditions que, par courrier recommandé avec avis de réception du 20 avril 2011, la CPAM de la Seine Saint-Denis a adressé au trésorier de l’établissement une notification de payer un indu de 232.564,11 euros, en son nom propre et pour le compte de quatre autres caisses homologues.

Faute pour l’établissement de s’acquitter de cet indu dans le délai d’un mois, la CPAM a alors adressé une mise en demeure du 4 juillet 2010, à « Monsieur le Comptable de la trésorerie générale du Centre hospitalier Delafontaine », d’avoir à régler la somme en principal, assortie de la majoration automatique, soit un montant de 255.820,52 euros, dans le délai d’un mois à compter de la date de réception.

En première instance, l’établissement avait sollicité, à titre principal, la désignation d’un expert judiciaire pour se prononcer sur le contrôle des séjours en désaccord entre l’établissement et les praticiens-conseils, et à titre subsidiaire l’annulation de la notification de payer et de la mise en demeure.

Le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny l’a débouté de l’intégralité de ses demandes, par jugement du 20 juin 2013.

Le centre hospitalier en a alors relevé appel et il soutenait notamment dans ses dernières écritures que la CPAM avait totalement ignoré le principe de séparation de l’ordonnateur et du comptable.

Par arrêt du 30 mars 2018, la Cour d’appel de Paris a alors infirmé le jugement contesté pour le motif suivant :

« Sur la nullité de la notification d’indu et de la mise en demeure adressées au comptable du trésor de l’établissement

Aux termes de l’article L133-4 du code de la sécurité sociale, l’organisme de prise en charge recouvre l’indu ‘auprès de l’établissement’ responsable du non-respect des règles.

La caisse soutient qu’aucune disposition du code de la sécurité sociale n’impose que la notification d’indu soit adressée au directeur de l’établissement et que la notification ou la mise en demeure qui sont adressées au trésorier, le sont ‘à l’établissement’.

Il est cependant incontestable que le trésorier n’a aucun pouvoir de représenter l’établissement et que seul le directeur du centre hospitalier peut être considérée comme ayant cette qualité.

En conséquence, une notification adressée ‘à l’établissement’ doit l’être à son représentant légal, peu important le silence des textes. D’autant qu’il convient de rappeler qu’au stade de la notification d’un indu de l’article L133-4, la possibilité de présenter des observations ne relève pas de la compétence du trésorier.

Les deux notifications d’indu du 20 avril 2011 et 4 juillet 2011 adressées à l’agent comptable du trésor, n’ont donc pas valablement été délivrées au centre hospitalier Delafontaine et la nullité de la procédure postérieure au contrôle doit être constatée ».

Saisie d’un pourvoi formé par la caisse, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel dans les termes suivants :

« Mais attendu que la notification de l’indu et de la mise en demeure prévue par l’article L. 133-4 du code de la sécurité sociale ne peut être régulièrement effectuée à une personne qui n’est pas le représentant légal de l’établissement ; que selon l’article L. 6143-7 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige, le directeur de l’établissement public de santé représente l’établissement dans tous les actes de la vie civile et est ordonnateur des dépenses et des recettes de l’établissement ;

Et attendu que l’arrêt constate que la notification de l’indu le 20 avril 2011 et de la mise en demeure le 4 juillet 2011 a été adressée au comptable du trésor du centre hospitalier ;

Que de ces constatations, la cour d’appel a exactement déduit que la notification de l’indu et de la mise en demeure n’avait pas été régulièrement délivrée au centre hospitalier, de sorte que la caisse ne pouvait, sur son fondement, poursuivre le recouvrement de l’indu litigieux ; »

Les enseignements d’un arrêt de principe

Nous pouvons tirer plusieurs enseignements de cette décision, appelée à être publiée au Bulletin civil de la Cour de cassation.

En premier lieu, le destinataire d’un acte de recouvrement émis par une caisse de sécurité sociale ne peut être que le représentant légal de l’établissement pour une raison qui, en l’espèce, s’explique par les prérogatives qu’il tient par la loi (art. L.6143-7 du code de la santé publique), à savoir qu’il représente l’établissement dans tous les actes de la vie civile et qu’il est l’ordonnateur des dépenses et des recettes de l’établissement.

Le décret n°62-1587 du 29 décembre 1962 énonçait en effet, en son article 3, que « Les opérations financières et comptables résultant de l’exécution des budgets ou des états de prévisions de recettes et de dépenses des organismes publics incombent aux ordonnateurs et aux comptables publics » et « Les ordonnateurs prescrivent l’exécution des recettes et des dépenses mentionnées au titre III ci-après. A cet effet, ils constatent les droits des organismes publics, liquident les recettes, engagent et liquident les dépenses. » (Art. 5 du décret de 1962).

En deuxième lieu, le comptable du trésor d’un centre hospitalier n’a pas qualité pour assurer une telle représentation dès lors que « Les comptables publics sont seuls chargés (…) du paiement des dépenses soit sur ordres émanant des ordonnateurs accrédités, soit au vu des titres présentés par les créanciers, soit de leur propre initiative, ainsi que de la suite à donner aux oppositions et autres significations ; » (art. 11 du décret de 1962).

Or, la notification de payer de l’article L.133-4 du code de la sécurité sociale, tout comme la mise en demeure, ne peut recevoir la qualification de titre de recettes puisque, dans sa version applicable à la date des faits, la Cour de cassation l’a qualifiée de « invitation adressée au débiteur de l’indu d’avoir à régulariser sa situation dans le délai d’un mois ou de présenter ses observations » (Cass. civ. 2ème, 11.02.2016, n°14-30.060).

En troisième lieu, et ainsi que l’a fort justement relevé la Cour d’appel de Paris, « au stade de la notification d’un indu de l’article L133-4, la possibilité de présenter des observations ne relève pas de la compétence du trésorier ». Qui plus est, il s’agissait pour l’établissement de présenter essentiellement des observations de nature médicale, lesquelles sont par définition étrangères aux fonctions de comptable public.

Pour finir, le comportement de la CPAM en l’espèce était d’autant moins compréhensible que les caisses sont elles-mêmes régies par des dispositions légales énonçant que « Tout organisme de sécurité sociale est tenu d’avoir un directeur général ou un directeur et un agent comptable », que « Le directeur général ou le directeur représente l’organisme en justice et dans tous les actes de la vie civile » (art. L.122-1 du code de la sécurité sociale) et enfin que le directeur est « l’ordonnateur des dépenses et des recettes de la caisse, et vise le compte financier » (art. L.211-2-2 du même code).

20En fait de recouvrement, il ne faut donc pas confondre vitesse et précipitation.


L’auteur

Me Omar YAHIA
SELARL YAHIA Avocats
Barreau de Paris

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