Réseaux et parcours complexes : chronique d’une fusion annoncée

15 Juin 2021

Le compte à rebours est lancé. À la date du 27 juillet 2022, le dispositif d’appui à la coordination des parcours complexes (plus connu sous le sigle DAC), prévus par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, absorbera de plein droit tous les réseaux actuellement existants, d’une exotique diversité : les PTA (plateformes territoriales d’appui), les réseaux de santé, les CLIC (centres locaux d’information et de coordination dédiés aux personnes âgées et à leur entourage), les CTA (coordinations territoriales d’appui pour les personnes en perte d’autonomie), les MAIA (maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer), les PRADO (programme de retour à domicile post-hospitalisation), les PAERPA (personnes âgées en risque de perte d’autonomie), etc.

Dit autrement, les DAC visent, dans un souci de lisibilité et d’amélioration des parcours complexes, à réunir en une seule entité juridique l’ensemble des dispositifs de coordination susmentionnés.

Ses missions sont fixées à l’article L.6327-2 du code de la santé publique [1].

L’article L.6327-7 du même code ayant renvoyé à un décret le soin de préciser les conditions d’application du chapitre relatif aux dispositifs d’appui à la population et aux professionnels pour la coordination des parcours de santé complexes, c’est le décret n°2021-295 du 18 mars 2021, publié le 21 mars dernier, qui a modifié les articles D.6327-1 à D.6327-6 du CSP. Il est notamment précisé que le DAC assure un service polyvalent à tout professionnel qui le sollicite pour la réalisation de ses missions afin d’offrir à la personne prise en charge une réponse globale et coordonnée, en concertation avec le médecin traitant (art. D.6327-1 du CSP).

La mise en oeuvre obligatoire d’un système d’information unique partagé

S’ouvre dès lors un nouveau chantier pour les industriels du secteur puisque le décret paru le 18 mars 2021 prévoit que chaque DAC « dispose d’un système d’information unique partagé entre les professionnels intervenant au dispositif. » (art. D. 6327-2 du CSP). Ce SI unique partagé doit permettre l’échange et le partage d’informations concernant la personne prise en charge entre professionnels exerçant au sein du DAC et avec les professionnels tiers intervenant auprès de la personne dans l’équipe de soins définie par l’article L.1110-4 du code de la santé publique. Ce SI unique partagé, ajoute le décret, doit répondre aux exigences de sécurité et d’interopérabilité et s’inscrit dans la stratégie définie par l’agence régionale de santé.

Mais les textes réglementaires n’ont pas vocation à régenter les moindres faits et gestes des acteurs de terrain. C’est ainsi que, quelques mois avant la parution du décret, le ministère des Solidarités et de la Santé a fixé, en coordination avec les services de l’assurance maladie, un cadre national d’orientation se présentant sous la forme d’un court rapport, datant de juin 2020, lequel précise notamment (les lecteurs voudront bien excuser cette longue citation) que : « Les DAC disposent d’un système d’information, métier, de pilotage et administratif pour sa gestion interne (administrative, financière et des ressources humaines). Le système d’information métier du DAC s’appuie sur les services numériques de coordination déployés régionalement, afin de disposer d’un outil partage avec les autres acteurs du territoire (professionnels de santé, établissements et services médicosociaux, structures sanitaires, collectivités territoriales) assurant une circulation d’information entre tous, en toute securité ».

Le document fait référence au programme e-Parcours, doté de 150 millions d’euros entre 2017 et 2021, lequel a pris le relais des « Territoires de soins numériques » (TSN) afin d’améliorer la coordination des professionnels de santé et la prise en charge des patients avec des outils numériques. Il poursuit de la façon suivante :

  • « Ces services numériques de coordination sont définis dans le cadre de la Doctrine Technique du Numérique en santé et comprennent notamment :
  • Le dossier de coordination, qui rassemble les informations nécessaires à la mise en oeuvre de la coordination et s’appuie sur le dossier médical partagé pour la restitution des données médicales de l’usager ;
  • Les services et outils de repérage, dépistage, évaluation et planification (OEMD, Inter-RAI, PPS, PSI ou tout autre grille retenue par le dispositif…) associés au processus métiers du DAC ;
  • La description de l’équipe de prise en charge, qui comprend l’ensemble des professionnels sanitaires, médico-sociaux et sociaux, appuyé sur le ROR et les annuaires régionaux ;
  • Le carnet de liaison/ suivi de l’usager et la gestion d’alertes, qui permet de signaler des évènements imprévus aux professionnels de l’équipe de prise en charge ;
  • Le partage d’agenda de l’usager, afin de faciliter l’organisation des soins ;
  • La gestion des orientations, appuyée sur le Répertoire Opérationnel des Ressources (ROR) ;
  • Le réseau social professionnel, qui permet aux professionnels d’échanger en instantané et de manière sécurisée en complément d’un service de messagerie sécurisée de santé au sujet d’un patient.

Ces outils viennent appuyer les organisations et processus de travail harmonisés du DAC et sont donc adaptés aux contextes territoriaux et aux différentes modalités de travail. Ils sont déployés par l’ARS soutenue par le GRADeS auprès des professionnels intervenant dans la coordination, et en lien étroit avec le déploiement des services socles que sont le DMP, la messagerie sécurisée de santé conforme à l’espace de confiance MSsanté et la e-prescription. Enfin, ces outils doivent respecter le cadre fixé par la Doctrine Technique du Numérique en Santé en terme de securité, d’intéroperabilité et d’urbanisation régionale et nationale ». l s’agit, pour les GRADeS, qui – rappelons-le – ont normalement pris (ou devront prendre) la forme d’un GIP, d’assurer l’appui logistique des intervenants du DAC, sous l’égide de l’ARS. En janvier 2021, les mêmes acteurs ont établi une « boîte à outils » formulant des recommandations, et notamment la recommandation n°5 ainsi libellée : « Il est recommandé de mener une réflexion sur les règles de partage d’information entre les professionnels de l’équipe de soins et au sein du DAC : charte de bonnes pratiques, définition des habilitations (qui a accès à quoi, facilement accessible aux utilisateurs en lien avec les GRADeS) ». Se pose alors l’inévitable et redoutable question de la mise en oeuvre de l’échange et du partage d’informations médicales dans le cadre des DAC, en lien avec les autres acteurs.

Les conditions d’échange et de partage des données du patient

L’article L.1110-4 du code de la santé publique distingue l’échange et le partage des informations relatives à une même personne, nécessaires « à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social ou social ». Les conditions d’échange et de partage des informations s’inscrivent dans la continuité des soins, qui est une obligation professionnelle s’imposant à tous les professionnels de santé et à tous les établissements de santé (art. L.1110-3 du CSP). En particulier, pour les établissements de santé, elle suppose de pouvoir assurer la prise en charge continue des patients déjà hospitalisés. En somme, la continuité est d’abord une garantie pour les patients, une sorte de « service après-vente » dont tous les professionnels de santé sont responsables. L’équipe de soins, au sein de laquelle les informations sont échangées, est définie, au terme de l’article L.1110-12 du CSP, de façon extrêmement large. Le législateur a assigné une double limite à l’échange et au partage des informations entre les professionnels de santé participant à la prise en charge d’une même personne, à savoir :

  • les seules informations strictement nécessaires à la coordination ou à continuité des soins, à la prévention, ou au suivi médico-social et social de la personne concernée ;
  • dans le cadre du périmètre des missions des professionnels concernés (article R.1110-1 du CSP).

Dans la pratique, les DAC seront principalement confrontés à deux cas de figure :

  • L’échange / partage de données entre professionnels appartenant à la même équipe de soins[2]. Dans ce cas, le patient doit simplement être informé de cet échange / partage, ainsi que de son droit de s’y opposer à tout moment.
  • L’échange / partage de données entre professionnels hors équipe de soins, soumis au consentement préalable de l’intéressé pouvant être obtenu par tout moyen, y compris par voie dématérialisée.

Le consentement exprès constituant la forme la plus exigeante du recueil de la volonté de la personne, le décret du 18 mars 2021 précité prévoit que la personne concernée est informée du recours au DAC afin qu’elle puisse exercer son droit d’opposition (art. D.6327-1 alinéa 4 du CSP). Par conséquent, l’information du patient à l’intervention du DAC et le recueil du consentement pourraient se faire lors de l’ouverture du dossier du patient au sein du DAC de qui donnera lieu à la remise de divers documents. Cette formalité pouvant être faite par voie dématérialisée, elle pourrait intervenir lors de la création du dossier patient dans le SI unique partagé du DAC. Le recueil du consentement devra préciser les catégories d’informations ayant vocation à être partagées / échangées, les professionnels fondés à en connaître, la nature des supports utilisés pour les partager et les mesures prises pour préserver leur sécurité, notamment les restrictions d’accès. C’est une piste de réflexion pour concrétiser un moyen d’amélioration des parcours complexes.


L’auteur

Me Omar YAHIA
SELARL YAHIA Avocats
Barreau de Paris

[1] « 1° – Assurer la réponse globale aux demandes d’appui des professionnels qui comprend notamment l’accueil, l’analyse de la situation de la personne, l’orientation et la mise en relation, l’accès aux ressources spécialisées, le suivi et l’accompagnement renforcé des situations, ainsi que la planification des prises en charge. Cette mission est réalisée en lien avec le médecin traitant, (…) et les autres professionnels concernés ; 2° – Contribuer avec d’autres acteurs et de façon coordonnée à la réponse aux besoins des personnes et de leurs aidants en matière d’accueil, de repérage des situations à risque, d’information, de conseils, d’orientation, de mise en relation et d’accompagnement ; 3° – Participer à la coordination territoriale qui concourt à la structuration des parcours de santé mentionnés à l’article L. 6327-1 du présent code ».

[2] « un ensemble de professionnels qui participent directement au profit d’un même patient à la réalisation d’un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d’autonomie, ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs de ces actes, et qui : 1° – Soit exercent dans le même établissement de santé, au sein du service de santé des armées, dans le même établissement ou service social ou médico-social mentionné au I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles ou dans le cadre d’une structure de coopération, d’exercice partagé ou de coordination sanitaire ou médico-sociale figurant sur une liste fixée par décret ; 2° – Soit se sont vu reconnaître la qualité de membre de l’équipe de soins par le patient qui s’adresse à eux pour la réalisation des consultations et des actes prescrits par un médecin auquel il a confié sa prise en charge ; 3° – Soit exercent dans un ensemble, comprenant au moins un professionnel de santé, présentant une organisation formalisée et des pratiques conformes à un cahier des charges fixé par un arrêté du ministre chargé de la santé. »

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